Le 12 juin 2018, une collaboratrice parlementaire nous adressait un e-mail pour nous suggérer de nous pencher sur les conditions de travail des collaborateurs des députés. D’après ce témoignage, la situation serait préoccupante : notre interlocutrice évoquait des « faits de harcèlement moral » et de « contentieux […] en cours ».
Il se trouve que depuis le scandale Fillon, l’Assemblée rend publics les noms des collaborateurs des députés, information que nous collectons et historisons depuis lors. Afin de vérifier l’intuition de notre interlocutrice, nous avons décidé, sur la base de ces données, d’étudier les qualités manageriales des parlementaires en calculant le turnover, c’est-à-dire le renouvellement du personnel au sein des équipes des députés. À l’occasion d’un workshop autour de LaFabriqueDeLaLoi.fr organisé à l’invitation de l’École normale supérieure de Lyon, c’est en compagnie de chercheurs de Sciences Po et de l’Université de Genève, puis avec l’aide d’une journaliste de MédiaCités, que nous nous sommes penchés sur cette question.
L’exploration des données récupérées quotidiennement par nos robots depuis le début de la législature s’avère passionnante. Des entretiens avec des collaborateurs ou d’anciens employés nous confirment que ces données sont fiables. La publication par les services de l’Assemblée des collaborateurs employés en contrat fixe s’avère être réalisée de manière quasi instantanée par rapport à l’instruction administrative de leurs contrats.
Un turnover global équivalent à celui du privé
Les premiers résultats sont surprenants : si le métier de collaborateur est une fonction précaire (plus de la moitié des députés ont employé au moins un collaborateur pour une durée inférieure à 4 mois), le turnover au sein de l’Assemblée est très proche de la moyenne nationale pour les entreprises du tertiaire : la rotation de l’emploi sur l’ensemble de l’institution est de 66,5% contre 64% au niveau national en 2011 d’après la DARES. À l’échelle d’une équipe parlementaire, cette rotation est également dans la moyenne : 53% pour la moyenne des 564 députés étudiés entre octobre 2017 et octobre 2018, contre 58,8% pour les TPE françaises.
155 députés avec un turnover élevé à très élevé
En regardant plus attentivement ces données, on remarque une vraie disparité des styles de management et notamment un taux de rotation anormalement élevé pour un quart des parlementaires : 155 députés ont renouvelé de 1 à près de 3 fois l’équivalent de l’intégralité de leur équipe. Le turnover au sein de l’Assemblée semble donc avoir un impact sur un nombre non négligeable de collaborateurs même si cela semble relever de situations individuelles.
Comme le suggérait la collaboratrice qui nous a donné l’idée de se pencher sur ce sujet, nous rendons donc publics les taux de fin de contrat constatés entre octobre 2017 et octobre 2018 pour l’ensemble des députés en activité sur cette période. Pour certains d’entre eux, les importants taux de départ sont concentrés en début de session, ce qui pourrait laisser entendre que ces députés ont depuis corrigé leurs problèmes de gestion de personnel.
(1) La situation s’est améliorée pour ce député en cours d’étude, les problèmes de turnover semblent en voie de résolution.
(2) Turnover proche ou inférieur au taux national.
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Corrélations entre le turnover et le genre, l’âge et le groupe des députés
Si ces 155 cas semblent essentiellement liés à la personnalité des députés, les analyses statistiques que nous avons menées révèlent toutefois 3 critères indépendants présentant des corrélations avec la durée de contrat des collaborateurs :
- le genre du parlementaire : les députées femmes ont employé en moyenne leurs collaborateurs moins longtemps que leurs collègues hommes (289 jours de contrat pour les femmes, contre 357 pour les hommes) ;
- l’âge du parlementaire : plus le député est âgé, plus les contrats des collaborateurs durent ;
- l’appartenance du parlementaire à certains groupes politiques : les collaborateurs des députés LREM et Non inscrits ont eu, au cours de la session 2017-2018, des contrats plus courts que la moyenne des députés.
Cette première étude permet de tirer quelques enseignements sur la problématique du turnover dont sont victimes certains collaborateurs. Elle devra être complétée par des travaux approfondis pour mieux comprendre pourquoi les députés LREM et Non inscrits ou les députées ont été plus sujets à des taux de turnover élevés lors de cette première année. Est-ce lié aux conditions de leur élection ? Est-ce lié à leur situation de députés de la majorité ou de l’opposition ? Est-ce que cette première année est une année spéciale en la matière ? Les changements de la réglementation relative à l’embauche des collaborateurs peuvent-ils expliquer certains phénomènes ? Ce sont les questions que des études plus approfondies sur la question des collaborateurs parlementaires pourraient explorer.
Consulter l’exploitation des données réalisée
Consulter l’article de MediaCités réalisé sur la base de ces données
Consulter l’article de The Conversation issu de l’exploitation de ces données
Consulter les données et le code source de ces travaux
[…] This work still in progress is available on its git repository here and has since led to a few publications in The Conversation, MediaCités and Regards Citoyens’ blog. […]
Intéressant mais ne peut-on avoir de références en français ? cf Loi Toubon
Bonjour Assere,
De quelles références parlez-vous ? L’ensemble des articles pointés est bien en français.
Par ailleurs vous pourrez noter que Regards Citoyens n’étant ni une personne morale de droit public ni une personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, la loi Toubon ne s’applique pas.
Je confirme totalement cette constatation. Bon courage à tous les collaborateurs !