lundi 16 décembre 2013

Pupitre de vote électronique
Photo Assemblée nationale

Deux sources bien informées des rouages du Parlement1 viennent d’annoncer tour à tour une réflexion engagée par le Bureau de l’Assemblée nationale sur la question de la transparence des votes et délégations de vote des députés. Au cœur du plaidoyer de Regards Citoyens de longue date, une telle réforme constituerait un véritable choc en matière de transparence de l’activité législative. Encore faudra-t-il pleinement l’assurer !

92 % des scrutins publics ne listent pas les votants !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la France est en effet l’un des rares pays démocratiques à laisser ses citoyens dans l’incapacité totale de connaître le détail des votes de leurs représentants au Parlement. Au-delà de l’ahurissante anticonstitutionnalité des votes au Sénat, la situation actuelle de l’Assemblée nationale relève également de l’ubuesque.

Alors qu’ils sont réalisés sur des boîtiers électroniques enregistrant les votes nominatifs des députés, les scrutins dits « publics » n’ont en fait de « public » que le nom. Au contraire des rares 8 % de « scrutins solennels », utilisés essentiellement lors du vote final des projets de lois 2 pour lesquels une liste exhaustive des votants est fournie, le relevé des « scrutins publics » ne présente que la liste des « rebelles » au sein de chaque groupe politique. Si l’ensemble des députés était en hémicycle pour voter lors de chacun des scrutins, cela pourrait suffire à retrouver par déduction le vote des « fidèles » à leurs groupes, mais cela n’est jamais le cas. Il est donc tout simplement impossible de savoir pour quoi ont voté chacun des députés. Un comble pour une démocratie représentative.

Les délégations de vote, une pratique opaque et source de polémiques

Alors que la Constitution prévoit la possibilité pour les députés de déléguer leur droit de vote à un collègue à titre exceptionnel uniquement 3, l’usage des délégations est en réalité systématisé en toute opacité et même organisé au sein des groupes politiques de l’aveu des députés eux-mêmes. Or en l’absence de mention de ces délégations sur les relevés de vote, il est également impossible de savoir quels députés parmi ceux indiqués se sont effectivement déplacés pour entériner leur opinion dans l’hémicycle.

À de nombreuses reprises, cette pratique a suscité des remous, des accidents de séance voire des accusations de fraude. Comme Christian Jacob, Patricia Adam, Lionel Tardy ou encore Christian Paul, Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, s’en est encore ému il y a quelques semaines au travers de plusieurs rappels au réglement pointant l’usage déviant des délégations et l’incompréhensible impossibilité de connaître les votes individuels de chaque député.

Des élus de tous bords politiques se sont déjà exprimés pour un alignement des règlements des deux assemblées vers un standard de transparence simple : la publication intégrale des noms et positions de chaque votant, ainsi que le nom du délégué lorsqu’il est fait usage de délégation. C’est la norme déjà appliquée dans la quasi totalité des parlements modernes. Il est aujourd’hui temps pour la France de s’y atteler, comme y invitait la promesse du Président Bartolone lors de son investiture de faire de l’Assemblée une « maison de verre ».

Des pistes de réforme encourageantes, mais encore affinables

C’est donc une excellente initiative de la part du Bureau de l’Assemblée que de se pencher enfin sur ces problématiques. Les pistes évoquées comme en réflexion vont dans la bonne direction : outre la publication intégrale des noms des votants lors des scrutins publics, il serait proposé d’interdire l’usage des délégations lors de ces mêmes scrutins.

Ces deux décisions prises seules risqueraient cependant d’entraver la volonté de transparence affichée : en continuant à traiter les scrutins solennels différemment des scrutins publics, l’analyse des informations relatives aux votes resterait difficile pour les chercheurs, journalistes et citoyens. La suppression de toute possibilité de déléguer son vote y compris pour ces scrutins solennels pourrait sembler plus naturelle afin d’assurer aux scrutins une meilleure représentation des forces en présence lors de chaque débat. Cette solution aurait également la qualité d’alléger le travail administratif des groupes parlementaires qui perdent un temps précieux à organiser et déclarer ces délégations. Cependant, puisque les délégations sont prévues par la Constitution, ce n’est pas leur existence qui pose problème mais leur opacité. Il serait donc suffisant de les conserver à la condition expresse d’en assurer la pleine transparence comme nous le proposions par exemple par amendement à l’Instruction Générale du Bureau en janvier dernier

Nous en appelons à l’ensemble des parlementaires pour apporter leur soutien au président Bartolone et lui permettre de réformer réellement la publicité des scrutins pour en assurer enfin la transparence. Nos homologues à l’étranger mènent de passionnantes études à partir de l’analyse des choix politiques de leurs parlementaires pour éclairer les citoyens sur une part importante de l’activité parlementaire. Députés, n’ayez plus honte de vos votes à l’Assemblée nationale !


[1] : Innovation : les scrutins publics seraient rendus publics par Pierre Januel, Cuisines de l’Assemblée de L’Express.fr, et Les votes par scrutin public transparents à l’Assemblée ? par Samuel Le Goff, Contexte.com
[2] : 62 scrutins solennels sur les 757 scrutins électroniques réalisés depuis le début de la législature.
[3] : Article 27 de la Constitution : « Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. La loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. ». L’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote précise le cadre précis de ces exceptions pour absences motivées.


Une réponse à “La transparence des votes de l’Assemblée nationale, c’est possible !”

  1. […] décision aura pris un peu de temps à murir, sans malheureusement écouter la société civile : le Bureau de l’Assemblée nationale […]

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